L’indice Shanghai Composite a connu sa plus forte
baisse depuis janvier. Une chute qui traduit d’autres maux plus importants de
la deuxième économie du monde.
L’indice Shanghai a connu mardi sa plus forte
baisse depuis janvier. Il a terminé la séance à 3748,16 points, en recul de
6,2 %. Crise boursière, crise immobilière, crise de croissance, le modèle
de développement chinois est sur la sellette. Voici pourquoi il y a une bulle
boursière.
Parce que c’est l’histoire d’un pays qui a une
croissance déséquilibrée depuis des années et dont on annonce depuis une
décennie qu’elle n’est pas durable ni soutenable. « L’histoire
d’un pays qui a connu une hausse irrationnelle de 150 % de sa bourse en
moins d’un an, résume Pierre Larrouturou, un de ces rares économistes qui
ont prédit la crise actuelle. Qui se double de l’effondrement de la
bulle immobilière. Et qui voit son activité reculer comme jamais depuis
25 ans, de l’aveu même du gouvernement. Les chiffres officiels parlent
d’une croissance de 6 %, mais le pays est au bord du gouffre : la
consommation d’énergie recule, les importations régressent de plus de
15 %. Pékin a beau avoir mis 40 % de son PIB pour relancer
l’investissement en 2008 ; la croissance a été artificialisée. »
Reprenons. Il y a un an, les Chinois, enfin ceux
qui en ont les moyens, commencent à déserter l’immobilier qui a connu une bulle
sans précédent : le secteur pèse plus de 15 % du PIB (deux points de
plus qu’en Espagne, c’est dire…) et des millions de mètres carrés ne trouvent
plus preneur.
Les banques ont distribué des crédits à tour de
bras, y compris pour favoriser la consommation, deux fois plus faible que dans
les économies développées. Mais une bonne partie va cette fois servir à
irriguer une autre bulle : le boom dans les actions. Une partie des
investissements dans l’immobilier sont réorientés vers une autre spéculation,
boursière cette fois-ci. Une ruée encouragée par les autorités chinoises, qui
veulent gonfler la capitalisation boursière de Shanghai, la principale bourse
du pays, pour tenter de faire gagner un demi-point à une croissance en chute
libre.
La banque centrale de Chine baisse alors en
novembre 2014 ses taux d’intérêt pour tenter de relancer l’économie. Les
autorités lancent aussi une plateforme d’interconnexion boursière qui permet
aux investisseurs internationaux d’accéder directement, via Hong Kong, à des
titres cotés à Shanghai et aux Chinois d’acheter des actions cotées à Hongkong.
C’est l’explosion, à l’image de la croissance
démesurée de la bourse de Shanghai. En juin 2014, elle pèse moins de
500 milliards de dollars. Trois fois rien comparée aux grandes places
telles New York, Londres ou même Paris. Mais Shanghai va grossir et vite. Un an
plus tard, en juin 2015, elle affiche fièrement 6500 milliards de
dollars. Plus de trois fois le produit national brut de la France. Entre-temps,
le pays a donc connu une ruée sans précédent de petits boursicoteurs. « Plus
de 22 millions ont ainsi ouvert en mai un compte bancaire dédié aux
investissements en bourse, du délire ; alors que les signes du krach
étaient manifestes », raconte Larrouturou. La flambée a culminé avec
les 5000 points atteint le 13 juin par la bourse de Shanghai.
Pourquoi la bulle explose-t-elle ?
Parce que ce même 13 juin, Pékin décide
d’agir. Le gendarme des marchés financiers chinois décide de limiter le recours
aux opérations « sur marge » opérations dans lesquelles un investisseur
emprunte à une maison de courtage pour acheter des actions. Le jour d’après, la
Commission chinoise de régulation des marchés financiers (CSRC), interdit
également les transactions réalisées avec des fonds empruntés en dehors du
circuit des opérations « sur marge ».
Du coup, les investisseurs comme les petits
porteurs commencent à se désengager. Après un an d’emballement financé en
grande partie par des emprunts, le marché boursier chinois
« corrige » de 30 % en trois semaines (jusqu’à début juillet) ;
3000 milliards de dollars de capitalisation partent en fumée. « Un
chiffre phénoménal », dit Larrouturou.
Pour éviter la panique générale, les autorités font
exactement l’inverse de leur plan du 13 juin. Elles assouplissent les
restrictions sur les « opérations sur marge », technique,
rappelons-le, qui consiste à emprunter auprès d’intermédiaires financiers pour
acheter des actions. Une manière de donner aux Chinois moyens la possibilité de
continuer à s’endetter pour poursuivre l’aventure financière.
Mais les autorités chinoises ne se contentent pas
que de ça. Elles baissent les taux d’intérêt. Elles gèlent les projets
d’introduction en Bourse. Elles orchestrent la mobilisation des sociétés de
courtage et des gestionnaires de fonds, qui se sont engagés collectivement à
acheter pour au moins 120 milliards de yuans (24,5 milliards $CAN)
d’actions. Elles permettent même à une société publique de financement des
investissements sur marge de bénéficier d’une ligne de liquidité directe de la
banque centrale. La bourse reprend des couleurs pendant quelques semaines,
avant de replonger.
Le trou d’air vient rappeler que l’économie
chinoise se porte beaucoup moins bien que ce que laissent entendre les
autorités. La semaine dernière, les trois dévaluations successives du taux
pivot du yuan par rapport au dollar montraient que Pékin s’était résigné à
sortir l’arme du taux de change pour éviter précisément un essoufflement de la
conjoncture. En vain.
Alexandre Delaigue professeur d’économie à
l’université de Lille, met en garde : « Cette crise teste le mythe
d’une élite hypercompétente et repose la question du contrat social dans ce
pays. Le regard du peuple peut passer d’un équilibre entre le " vous êtes
corrompus, dictatoriaux mais compétents " à " vous êtes corrompus,
dictatoriaux et en plus, incompétents ". Et là, cela devient explosif car
le contrat social chinois, c’est accepter un régime autoritaire qui apporte de
la prospérité. Si ce n’est plus le cas, que va faire le régime des 200 millions
de Chinois de la classe moyenne qui ont investi leur épargne et ne bénéficient
d’aucun filet social ? ».
Pourquoi il faut s’inquiéter
Jacques Attali, sur son blogue, ne dit pas autre
chose : « De plus, si la croissance continue de ralentir,
c’est l’exode rural qui va s’essouffler, réduisant la demande de logements et
menant l’immobilier à l’effondrement, ce qui détruira l’autre moitié de
l’épargne de la classe moyenne, écrit-il. Et rien n’est plus
dangereux, pour tout régime, que de ruiner sa classe moyenne, ossature de tout
ordre social ». Et d’ajouter : « La
manipulation du taux de change ne suffira pas à enrayer cette chute. Au
contraire, même, elle peut l’aggraver en mettant la Chine en situation de
dépendre du bon vouloir des spéculateurs internationaux, et en incitant
d’autres pays à agir sur leur taux de change pour rétablir leur
compétitivité. »
« Au total, la récession chinoise, si elle se
confirme, entraînera celle du Brésil, qui provoquera celle des États-Unis puis
la nôtre », estime Attali. C’est déjà le cas, rappelle Pierre
Larrouturou : « Le Japon vient d’annoncer qu’il retombe en
récession, le Brésil et le Canada aussi. Et la croissance vient d’être revue à
la baisse aux États-Unis ; seule la France veut croire qu’elle repart. On
va vers une nouvelle crise pire qu’en 2008. On a déplacé les fauteuils sur le
pont du Titanic, on n’a pas régulé le monde de la finance ni séparé les banques
de dépôts et d’investissement, et les États n’ont plus du tout les mêmes marges
de manoeuvre qu’il y a sept ans ». Et Attali de prévenir : « Le
monde s’approche d’une grande catastrophe économique. Et personne n’en
parle. »
Source: Le Devoir